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Nespresso, un cas d'école de lock in

Le 27 avril 2005

Je suis l'heureux possesseur d'une machine Nespresso depuis l'an dernier ; enfin, heureux dans ce qu'elle m'offre un accès facile et rapide à un café de bonne qualité, bénédiction particulièrement sensible pour quelqu'un cumulant la tare d'une incapacité complète à produire un bon café au travers d'une cafetière à filtre, et celle de prendre un café matinal quotidien, parfois complété d'une petite dose de caféine à la mi-journée.

Mais tant la machine en elle-même me satisfait pleinement, tant la politique commerciale qui lui est attachée me déplaît foncièrement. En effet, lorsque vous utilisez une machine Nespresso, vous ne pouvez utiliser que des capsules Nespresso, achetables uniquement auprès de Nespresso. Cela implique entre autres choses que :

  • Nespresso est en situation de monopole absolu pour la vente de café sur ces machines ;
  • Nespresso peut donc fixer les prix des dites capsules de manière parfaitement arbitraire ;
  • Nespresso ne peut subir aucune forme de pression commerciale de la part de ses consommateurs, par exemple pour fournir du café labelisé commerce équitable, agriculture biologique, ou pour mettre en place un circuit de recyclage des capsules ;
  • Nespresso impose ses modalités de distribution, qui, au travers du Club Nespresso permet de ficher intégralement les clients et leurs habitudes de consommation.

C'est donc avec ces différents points en tête que j'ai envoyé au "Club Nespresso" une courte missive électronique au sujet du lock-in commercial de Nespresso ce matin:

Bien que tout à fait satisfait de ma machine à café Nespresso, je trouve tout à fait lamentable la situation dans laquelle je me trouve en tant que consommateur, contraint de n'acheter que du café Nespresso, limitant ainsi mes choix en terme de qualité (pas de café biologique ni de commerce équitable), et surtout en prix, comme en est témoin la récente augmentation des prix et de la quantité minimale de livraison.

Bien que je ne sois pas en mesure de changer mon choix de machine à café, soyez certains que je déconseille à mes relations l'investissement d'une machine Nespresso à l'heure actuelle, et continuerait à le faire tant que les capsules adaptées ne seront disponibles que par votre biais.

Quelques minutes plus tard — ce qui me laisse penser qu'il doit s'agir d'une question fréquente—, j'ai reçu la réponse suivante (entrecoupée de mes propres commentaires) :

Depuis sa création, Nespresso s’est attaché à contribuer au développement industriel des pays producteurs de café, en préservant leurs intérêts et leur dignité grâce à la pratique de prix rémunérateurs et équitables. L’éthique de notre métier se traduit par le souci de la juste rémunération des producteurs de café.

Cette affirmation laisse songeur, quand on connaît la réputation de Nestlé concernant le commerce équitable… Si les achats de Nestlé suivaient effectivement les processus de commerce équitables, pourquoi ne seraient-ils pas labélisés de la sorte ?

En effet, Nespresso n’achète que le meilleur du café vert, désireux de proposer à ses clients des crus de très haute qualité. Notre société n’importe en aucun cas les excédents issus de la surproduction et choisit des récoltes d’exception, achetées au meilleur prix.

Au "meilleur prix" signifie évidemment aux dépens des producteurs de café.

A l’instar du Commerce Equitable, nous sommes particulièrement sensibles au sujet de l’Agriculture biologique. Toutefois, bien que nos produits ne comportent pas le label « bio », nous pouvons vous certifier, que tous nos cafés, de par leur qualité exceptionnelle, sont cultives et récoltés dans les meilleures conditions.

Comment peut-on utiliser autant de mots pour ne rien dire ?

C’est aussi pour toutes ces raisons que nous préférons assurer nous-mêmes la distribution des capsules.

Je dois être un peu idiot, mais je ne vois absolument pas de relations de cause à effet entre les affirmations précédentes et cette conclusion…

Par ailleurs, malgré les fluctuations du marché du café, Nespresso a su maintenir le prix de la capsule tout en vous garantissant une qualité constante (date de notre dernier changement de prix : mars 1997).

On observe que depuis 2 ans les prix subissent une forte augmentation. Le Brésil – qui représente près de 40% de la production mondiale – a connu de mauvaises récoltes. Les prix de l’arabica ont été multipliés par 2 sur le marché entre 2003 et 2005.

Je ne prétends pas être un grand spécialiste en matière d'analyse économique, mais à en croire les statistiques publiées par le gouvernement de Côte d'Ivoire, le cours du café n'a pas été multiplié par deux entre 2003 et 2005. Et en tout état de cause, il est aujourd'hui plutôt moins élevé qu'en 1997. Je n'ai pas d'objections à payer le café plus cher pour de bonnes raisons, mais s'il s'agit uniquement d'engraisser les profits de Nestlé, je suis nettement moins intéressé.

Dans le cadre de cette conjoncture, une légère majoration tarifaire de nos capsules, permet à Nespresso de continuer à s’inscrire dans une politique de recherche et de développement durable.

La légère majoration tarifaire est tout de même de 7%. Quelle qu'elle soit, en quoi se traduit cette politique concrètement ?

Et bien sûr, rien dans cette réponse n'explique pourquoi ouvrir le marché des capsules Nespresso à la concurrence — marché fermé à l'heure actuelle par un brevet expirant en 2011 —, ou permettre la distribution de ces capsules par d'autres vendeurs serait au détriment du consommateur.

Évidemment, il est toujours assez difficile de prouver qu'un mensonge patent est une vérité éclatante.