Saturday, Ian McEwan

Le

Suite à la générosité de cousins pas du tout germains, j'ai reçu récemment dans ma boîte aux lettres le dernier roman d'Ian McEwan, Saturday.

Ce livre avait trouvé sa place depuis plusieurs mois sur ma liste de souhaits, probablement suite à la critique plutôt élogieuse faite par Télérama en octobre. L'histoire ne dit pas comment les sus-liés cousins eurent vent de ce souhait, mais quel que fût ce vent, il fut le vecteur d'une très bonne lecture.

Les quelques 300 pages de l'édition anglaise de ce roman sont entièrement consacrées à une journée d'Henry Perowne, un samedi (évidemment) d'un neurochirurgien londonien. Trois cents pages pour une journée ? Serait-ce donc l'équivalent littéraire de la série télévisée américaine, 24 ?

Que nenni, que non point ! Henry Perowne n'a vraiment rien d'un Jack Bauer britannique, et les quelques événements qui parsèment sa journée s'inscrivent pour la plupart dans l'habituel, le périodique, le non-événementiel. Mes pages préférées du livre s'attachent à décrire certains de ces moments avec une acuité et une richesse savoureuse : la partie de squash, le morceau de blues, ou les embouteillages londoniens sont de véritables morceaux de bravoure :

It is a slow haul back into central London - more than an hour to reach Westbourne Grove from Perivale. Dense traffic is heading into the city for Saturday night pleasures just as the first wave of coaches is bringing the marchers out. During the long crawl towards the lights at Gypsy Corner, he lowers his window to taste the scene in full - the bovine patience of a jam, the abrasive tang of icy fumes, the thunderous idling machinery in six lanes east and west, the yellow street light bleaching colour from the bodywork, the jaunty thud of entertainement systems, and red tail lights stretching way ahead into the city, white headlights pouring out of it. He tries to see it, or feel it, in historical terms, this moment in the last decades of the petroleum age, when a nineteenth-century device is brought to final perfection in the early years of the twenty-first; when the unprecedented wealth of masses at serious play in the unforgiving modern city makes for a sight that no previous age can have imagined. Ordinary people! Rivers of light! He wants to make himself see as Newton might, or his contemporaries, Boyle, Hooke, Wren, Willis - those clever, curious men of the English Enlightenment who for a few years held in their minds nearly all the worlds's science. Surely, they would be awed. Mentally, he shows it off to them: this is what we've done, this is commonplace in our time. All this teeming illumination would be wondrous if he could only see it through their eyes. But he can't quite trick himself into it. He can't feel his way past the iron weight of the actual to see beyond the boredom of a traffic tailback, or the delay to which he himself is contributing, or the drab commercial hopes of a parade of shops he's been stuck beside for fifteen minutes. He doesn't have the lyric gift to see beyond it - he's a realist, and can never escape.

Bien sûr, la journée de ce non-héros n'est pas tout à fait ordinaire non plus : les manifestations contre la guerre en Irak de l'hiver 2003 servent de toile de fond au roman, et influent subrepticement sur le déroulement de cette journée, cause fort indirecte de l'événement le plus dramatique de notre neurochirurgien.

Mais au delà de l'aspect un peu théâtral de cette journée - découpée en cinq actes, avec un incipit, un noeud gordien et un épilogue assez nettement marqués -, c'est la finesse avec laquelle l'auteur nous guide au travers des pensées vagabondes de Mr Perowne, le goût du détail dans l'introspection, et le soin avec lequel l'auteur s'est projeté dans un personnage à la fois banal et exceptionnel (la neurochirurgie, illustrée avec précision, n'étant finalement pas moins impressionnante que les pirouettes improbables de Jack Bauer) qui m'ont réellement séduit dans ce roman.